PAR ANONYME
ÉTUDIANTE EN DROIT À MCGILL
Il est difficile de prendre la plume et de se mettre à écrire pour parler de soi. De ce que l’on a vécu. Essayer de tout se remémorer n’est déjà pas chose facile. On ferme les yeux et on rembobine. On se repasse le film du début à la fin, de la fin au début. Chaque pensée ravive un douloureux souvenir. Bien entendu, si c’est une histoire heureuse, c’est un exercice qui se fait volontiers. Et plus facilement.
Et puis, on ne veut pas parler de soi. On ne veut pas que ce soit about us. Écrire, et partager, c’est accepter une certaine réalité. Une réalité sur laquelle on préfèrerait tirer un trait.
J’aurais peut-être dû tout coucher sur papier plus tôt. Au jour le jour? Mais en avais-je seulement envie? A-t-on réellement envie de partager avec d’autres la honte qui nous colle à la peau, qui nous parasite pendant des jours, des semaines? A-t-on envie de l’expliquer?
Non. Non, et j’ai repoussé ce moment le plus possible. Parfois, bien sûr, on écrit ce qui nous passe par la tête. L’écriture et ses bienfaits thérapeutiques. Plus de clarté? Écrire, non crier. Liberté?
C’est difficile aussi de décider par où commencer. D’ailleurs, est-ce que vous me suivez? Je vous ai peut-être déjà perdu.
Commençons.
Le réveil. On regarde, à gauche, à droite. Quelques secondes passent. On comprend. Bouffée de honte. On sent le rouge et la chaleur nous monter aux joues. Transpiration.
Mais il nous faut rester impassible. On transpire, mais rien ne transparaît.
« Tout va bien, oui oui. »
On a oublié et on se dit que c’est de notre faute.
On boit un verre de trop et on nous dit que c’est notre faute. Au mieux, que ce n’est pas grave. Alors on intériorise. Ma faute? Compris. Ma faute. D’ailleurs, on le savait.
« Désolée. »
Culpabilité. Coupable, je l’étais. L’étais-je?
Quelques jours passent. Une boule nichée au fond de la gorge, pas décidée à partir de sitôt. Malaise profond. Mal-être qui s’empare de notre corps. Alors pour la première fois, on réfléchit. Quand même, quelle drôle de responsabilité. « Sachez combien de verres vous pouvez supporter. » Et bien, je ne « sache » pas. Non, je ne « sachais » pas. Coupable? Responsable?
Me suivez-vous?
La honte. Celle qui nous empêche de parler, de dénoncer. Celle qui nous ronge de l’intérieur et qui nous fait culpabiliser. La honte nous enferme, elle nous garde prisonniers. Nous, et notre secret.
Il faut bien que quelqu’un soit responsable. Si ce n’est pas lui, c’est nous.
L’intériorisation des derniers jours rend parano. On sent des regards inquisiteurs et emprunts de jugement posés sur nous. Était-ce notre imaginaire ? Peut-être. De l’exagération? Certainement. Mais au premier jour, au plus bas, on nous avait fait comprendre que « c’était notre faute ». Alors jusqu’au bout, on se dit « c’est notre faute ». Jusqu’au bout, on refuse de croire qu’on puisse être soutenue. On a merdé. Merde.
C’est flou, ce texte.
C’est flou.
Pensées, souvenirs, sentiments, tout se bouscule.
C’est flou. Et on voudrait tout oublier. On voudrait que ça ne soit jamais arrivé. Et pourtant, tout est pardonné.
Tout est pardonné. Et tout le monde? Non. On s’en veut toujours. On ne se le pardonne pas.
Une partie de nous-même refuse de tout se remémorer et de tout partager. Une autre partie refuse encore d’accepter que ce qui lui est arrivé n’était pas de sa faute. Une partie de nous-même a encore honte.
J’arrive à la fin. C’est vrai, écrire, ça fait du bien. Je me détache du texte, j’écris au nous. Je ne veux pas que ce soit mon histoire. Tu as peut-être décroché. Je m’accroche. Et je vais mieux.