CONVERSATIONS D’AUTOMOBILE

Andréanne Poirier

Les alliés?
Lui : Des fois, j’ai l’impression que c’est moi que tu attaques personnellement quand tu parles des hommes qui ont fait quelque chose de répréhensible, comme si j’étais le coupable. Je ne suis pas comme eux!

Elle : En effet, tu n’es pas comme eux et c’est pour ça que c’est frustrant. Je te considère comme mon allié et une personne que je respecte. Si tu ne fais rien et que tu es neutre, tu sembles être l’un d’entre eux. Quand je te fais part de mon expérience, c’est pour que tu comprennes et que tu deviennes un agent de changement. J’aimerais que tu sois comme un agent infiltré, que tu changes la game en utilisant ton statut de privilégié pour faire bouger les choses. Je ne te parle pas de mon expérience pour devenir émotive et t’accuser. Je te parle pour que tu comprennes mes sentiments et ma frustration devant des phénomènes que je juge injustifiés. Mets-toi à ma place : aimerais-tu ça si tu apprenais que de nombreuses violences envers des hommes restaient impunies, voire tolérées ? Laisse-moi en douter!

Aujourd’hui, je suis allée à la banque me magasiner un prêt étudiant
Elle : Même si j’ai eu un montant appréciable pour ma marge étudiante, je ne peux arrêter de me demander s’ils m’ont moins donné puisque je suis une femme.

Lui : Je pense que t’exagères un peu…

Elle : Peut-être, mais les banques sont là pour faire de l’argent. D’après les statistiques, on sait que les femmes font moins d’argent que les hommes pour le même travail et le même poste. Donc, la banque a sûrement pris en compte cette information dans son évaluation des risques. Ce n’est pas du cas par cas, c’est basé sur la masse générale. Dans tous les cas, les statistiques sont contre moi.

Sollicitation bien choisie
Un homme s’approche et demande de la monnaie à mon compagnon.

Elle : À chaque fois qu’il y a une personne qui quête, c’est immanquable, elle te sollicite, toi. C’est sexiste et c’est comme de la mauvaise vente! Être mise à l’écart, ça m’enlève l’envie de lui donner de l’argent ou même d’essayer de t’influencer pour que tu lui en donnes. C’est exactement comme certains hommes font dans le cadre de leur travail, quand ils ne parlent qu’à l’homme du couple, même s’il est question des actifs ou du problème de la femme.

Lui : Je sais, c’est vraiment niaiseux de leur part. Ils s’aliènent une partie de leur clientèle. Éventuellement, ces femmes en auront sûrement assez et se présenteront chez leurs compétiteurs.

Les agressions?
Lui : Des fois, il suffit d’être au mauvais endroit au mauvais moment. C’est sûr que de se promener tard la nuit ça n’aide pas, surtout si tu viens de sortir et que tu es habillée sexy.

Elle : Tu sais, la plupart des agressions ne prennent pas place dans une ruelle sombre comme tout le monde se l’imagine. En effet, la majorité du temps, c’est quelqu’un que tu connais ou qui est en position de pouvoir par rapport à toi. Tu penses peut-être qu’on exagère, mais je peux nommer sur mes doigts les filles qui n’ont jamais eu à subir une agression quelconque. Moi, ça m’est arrivé en plein jour : c’était dans un autobus bondé après l’école. L’homme a mis sa main en dessous de ma jupe d’école. J’avais 14 ans et il était deux heures de l’après-midi.

Lui (en blaguant) : En tout cas, moi, j’aimerais ça me faire complimenter à tout bout de champ dans la rue.

Elle : Peut-être que tu trouverais ça flatteur au début ou peut-être même
tout le temps, mais il reste que : I’m not asking for it. Il n’y a rien qui dit dans mon habillement ou dans mes manières que je veux recevoir ces commentaires-là. Ce n’est pas parce que j’ai une poitrine qui semble plaire aux hommes qu’automatiquement, je veux me faire complimenter ou être déshabillée du regard. Ce n’est pas une équation certaine! Ce n’est pas écrit quelque part que cet homme anonyme, croisé au hasard dans la rue, a un droit sur mon corps. Il n’en a pas.

Lui : T’as raison et c’est vrai ce que tu dis! Il n’a pas le droit de te dire ça ou de te toucher sans avoir vérifié ton consentement. Ça ne doit pas être plaisant!

L’équité salariale et le sexisme
Elle : Tu sais, c’est frustrant quand tu y penses, mais je ne ferai probablement jamais autant d’argent qu’un homme.

Lui : Pourquoi tu dis ça? T’es la meilleure, tu vas faire autant d’argent qu’un homme.

Elle : Bien non! Il faudrait que je sois au moins deux fois plus assidue et douée pour espérer gagner le même salaire qu’un homme moins bon que moi. C’est comme si je partais avec un boulet lourd de stéréotypes dans une course. Je dois travailler plus fort pour me démarquer.

Lui : Arrête de dire ça! Tu vas leur montrer que tu es la meilleure et tu auras droit aux mêmes privilèges.

Elle : Je ne pense pas que ça fonctionne comme ça, même si je suis douée. Je vais devoir me taire quand mon patron dira que je suis douée malgré que je sois une jeune femme. Me démarquer sera sûrement un processus long et fâchant. Je vais sûrement devoir travailler de manière acharnée pour espérer être simplement considérée égale à un homme. Et oui, je crois que c’est si pire que ça.

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