L’APPRENTISSAGE PAR PROBLÈMES COMME PÉDAGOGIE FÉMINISTE : UNE ENTREVUE AVEC ALANA KLEIN

Entrevue par Suzanne Zaccour

La professeure Alana Klein enseigne et étudie le droit pénal, les droits humains et le droit de la santé à la Faculté de droit de McGill. Depuis deux ans, elle enseigne le cours de preuve criminelle en utilisant la méthodologie du « problem- based learning », ou apprentissage par problèmes.

Question En quoi consiste l’apprentissage par problèmes? Quels sont ses objectifs?

Réponse : Les conceptions de l’apprentissage par problèmes diffèrent, mais l’idée générale est que les élèves prennent entre leurs mains leur propre apprentissage. Traditionnellement, le droit étatique a été présenté comme une vérité absolue et unique, une conception mise de l’avant par l’enseignement classique en cours magistral. La ou le professeur·e dispense les connaissances, répond aux questions et révèle aux étudiant·e·s comment le droit est structuré et pourquoi. L’apprentissage par problèmes se fait de façon plus autonome, et les présentations magistrales sont limitées. Son but est de développer une habilité à critiquer le droit, à le replacer dans son contexte social et à reconnaitre ses limites. Les élèves construisent et découvrent les catégories du droit par leurs propres explorations. Elles et ils sont appelé·e·s à travailler sur des situations factuelles dès le début du processus d’apprentissage, afin d’éveiller leur conscience aux enjeux juridiques. Il ne s’agit pas de résoudre le problème mais de comprendre le fonctionnement du droit en contexte et de découvrir les mécanismes dont il se dote pour aborder ces enjeux.

Question Pourquoi avoir choisi cette méthodologie? Est-ce un choix féministe?

Réponse : Ce n’était pas un choix délibérément féministe, mais certainement une décision influencée par mes valeurs féministes et cohérente avec celles-ci. J’aime d’ailleurs à penser que tous mes choix comme professeure sont influencés par les critiques féministes du droit et ma pratique du féminisme.

Question En quoi l’apprentissage par problèmes est-il une forme de pédagogie féministe? Quels avantages les étudiant·e·s en retirent-elles /ils?

Réponse : Dans mon cours, j’évite toute hiérarchie superflue. C’est d’autant plus pertinent que le droit de la preuve criminelle s’est bâti avec une déférence injustifiée envers l’autorité et la hiérarchie, déférence qui en a parfois entravé le développement logique, conscient et réfléchi. L’apprentissage par problèmes se fait surtout en petits groupes, ce qui contribue à réduire le sentiment de hiérarchie. Les élèves m’enseignent autant que je leur enseigne. Elles et ils travaillent de concert pour trouver leurs propres solutions, dans une forme d’apprentissage actif. Je mise donc sur leur intelligence pour leur donner l’occasion de s’enseigner entre elles et eux, d’apprendre ensemble.

Mes élèves ont également tendance à arriver à des résultats qui n’ont pas de sens à leurs yeux et à me demander de les justifier, d’expliquer pourquoi le droit arrive parfois à ces réponses absurdes. Je les encourage à critiquer le droit et à lui donner un sens. C’est particulièrement important pour celles et ceux qui pensent que leurs idées ont moins de valeur que celles qui leur sont imposées de l’extérieur. Cet apprentissage critique et autodirigé est à mon sens féministe.

L’apprentissage par problèmes me permet aussi de diversifier les méthodes d’enseignement à la Faculté. C’est bénéfique pour les étudiant·e·s qui sont moins à l’aise avec les méthodes d’enseignement traditionnel. L’apprentissage itératif, collaboratif, qui donne beaucoup de feedback et d’opportunités de se corriger rend l’enseignement plus riche.

Il me semble d’ailleurs que mon cours est plus populaire auprès des femmes, mais je ne pourrais pas dire à quel point c’est dû à la méthodologie, par opposition au sujet d’étude.

Question Parlez-nous davantage de ce sujet d’étude.

Réponse : Le livre est basé sur le procès de l’Australienne Kathleen Folbigg, condamnée pour le meurtre de ses enfants morts dans des circonstances mystérieuses. L’autrice argumente que l’accusée, qui est toujours en prison, a été condamnée à tort. Elle explore comment l’interaction des stéréotypes sur la maternité, des connaissances médicales et du processus légal mène à des erreurs judiciaires.

Contrairement à mon choix de méthode d’enseignement, celui du livre est consciemment et explicitement féministe. Le livre s’intéresse aux croyances populaires et aux préjugés sur le genre, et à leur impact sur le droit et la médecine. Je crois que la façon dont le droit traite de la maternité est un sujet d’intérêt pour les étudiantes féministes.

Mon cours vise à faire comprendre aux élèves que la « vérité » est appréhendée par le droit de la preuve criminelle d’une certaine manière, qui reflète des biais sexistes. On retrouve ces biais non seulement dans les conclusions du droit, mais aussi dans les mécanismes qui servent à atteindre ces conclusions.

Matsuda a écrit : « The students who excel in law schools — and the best lawyers — are the ones who are able to detach law and to see it as a system that makes sense only from a particular viewpoint ». C’est ce que je veux apprendre à mes élèves. Mon cours les incite à garder une distance critique par rapport au droit, à le comprendre en l’observant de l’extérieur, notamment grâce à la critique féministe du droit. En s’appropriant la matière par l’apprentissage par problèmes et en intégrant une perspective critique, mes élèves sont invité·e·s à reconnaitre la valeur de la prise en compte de subjectivités multiples, plutôt que de considérer la subjectivité de l’État comme la seule possible.

Question En plus du sujet d’étude et de l’enseignement par apprentissage, y a-t-il d’autres aspects de vos cours qui se rattachent à une pédagogie féministe?

Réponse : Je personnalise mon enseignement. Plutôt qu’un seul examen final anonyme, je donne plusieurs travaux et beaucoup de feedback. Ça me permet de reconnaitre ce qui pose problème aux étudiant·e·s individuellement, et d’éviter l’enseignement à « taille unique ».

Il m’est aussi arrivé de faire des examens dans lesquels tous les personnages étaient féminins, en leur donnant par exemple des noms d’activistes canadiennes. C’est notre façon, à nous les professeur·e·s, de nous amuser en préparant les évaluations!

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