ME PASCALE PAGEAU: FEMME DE MÉRITE 2013
Entrevue par étudiante en droit anonyme.
Pour son 20e gala Femme de mérite, la Fondation Y des femmes de Montréal a décerné le prix Femme de mérite – catégorie Entrepreneuriat à Me Pascale Pageau, fondatrice et présidente de Delegatus services juridiques. Ce cabinet, qui compte maintenant 23 avocats, fut classé 9e parmi les bureaux du Québec sur le plan de la satisfaction de la clientèle dans le palmarès de Canadian Lawyer d’avril 2012. En plus de diriger un cabinet d’avocats, Me Pageau est mère de quatre enfants âgés de 3 à 10 ans (!). Contours a interviewé Me Pageau pour en savoir davantage sur sa vision de la profession légale au Québec.
Contours: Maître Pageau, comment faites-vous?
Pascale Pageau: Haha! Vous voulez parler de la conciliation travail-famille?
C: Oui, c’est l’une des choses dont j’aimerais parler. Pour vous, la conciliation, c’est un enjeu personnel ou bien une préoccupation à laquelle devrait répondre l’environnement de travail?
PP: Il y a, à quelque part, un choix personnel dans le fait d’être carriériste, ambitieuse ou de rechercher la conciliation travail-famille, mais c’est clair qu’en droit, l’environnement de travail favorise beaucoup plus l’ambition que la vie de famille.
C: Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez dû faire face en tant qu’entrepreneure sur le marché légal du Québec?
PP: C’est difficile. On est dans un monde de services : les clients s’attendent à avoir du service en tout temps. L’une de nos difficultés à Delegatus a été de gérer la croissance rapide de notre cabinet. Nos services sont devenus si populaires que nous sommes passés de 8 à 22 avocats très rapidement. Bien sûr, nos services de comptabilité et nos services informatiques n’ont pas pu suivre. À l’avenir, il faudra planifier une croissance moins rapide!
C: En quoi est-ce que Delegatus diffère des grands bureaux auxquels nous sommes exposés, ici, à la Faculté de droit de McGill?
PP: La culture des grands bureaux n’est plus vraiment adaptée au monde d’aujourd’hui. Quand j’y travaillais, je me souviens que le face time était tellement important que certains de mes collègues laissaient leurs vestons sur leurs chaises lorsqu’ils partaient, afin de faire semblant qu’ils étaient encore au bureau le soir! Notre modèle est intéressant pour nos avocats parce qu’on leur accorde plus de flexibilité et nous offrons la possibilité d’autodétermination de l’horaire pour chacun. Créer un environnement de travail innovateur, ça veut dire reconnaitre que les gens peuvent travailler n’importe où grâce aux nouvelles technologies : dans le train, chez eux à huit heures quand les enfants sont couchés…
C: Il faut spécifier, cependant, que votre modèle d’autonomie s’adresse à des avocats qui ont déjà beaucoup d’expérience et une expertise dans un domaine spécialisé…
PP: Oui, c’est bien ça. Tous les avocats chez Delegatus ont 4 ou 5 ans d’expérience dans un grand cabinet. C’est vraiment la meilleure école. On y apprend à la dure, et on y acquiert un certain perfectionnisme dans le travail. Il faut travailler fort pour apprendre à gérer efficacement une aussi grande flexibilité!
C: Pouvez-vous me parler de vos années passées dans les grands cabinets?
PP: Mon dieu! On avait vraiment un fusil sur la tempe. Il fallait produire et livrer rapidement. Mais je ne veux pas que tu penses que je n’ai pas aimé mes années de soldat. En fait, j’ai aimé être un soldat! J’ai eu la chance de travailler sur des batailles vraiment extraordinaires : de grands dossiers, des commissions d’enquête, des procès extrêmement stimulants! C’est sûr qu’il y a un prix à payer, mais en échange, on reçoit beaucoup, on apprend vraiment beaucoup. Puis, quand est arrivé le choc de la conciliation travail-famille, c’est là que j’ai compris qu’il fallait que je construise quelque chose à mon image.
C: Vous utilisez une imagerie très révélatrice : ‘le fusil sur la tempe’, ‘les années de soldat’, ‘les batailles’. Pour vous, c’est ça, la profession légale?
PP: Oui, oui, je n’ai pas honte d’utiliser ces mots-là!
C: D’après votre expérience dans un grand bureau, comment réagissez-vous au fait que de jeunes femmes abandonnent la profession légale par centaines?
PP: Ce qui est dangereux, si tu veux mon avis, c’est de ne pas essayer en pensant que la vie de soldat n’est pas pour nous. On se décourage dès le départ en se disant qu’on voudra peut-être des enfants dans 4-5 ans. Selon moi, c’est une erreur. Le marché en ce moment est en pleine transformation; dans 4-5 ans, ça aura peut-être changé! C’est sûr que les grands cabinets sont un milieu conservateur, mais il ne faut pas arrêter de leur mettre la pression pour qu’ils changent ce modèle masculin de la profession. On doit être là pour participer au monde du droit qu’on voudrait pour demain.
C: Quels sont vos conseils pour les futurs avocats et avocates de ma Faculté?
PP: Si j’avais un conseil, ce serait vraiment de ne pas se laisser décourager. C’est vrai qu’il y a trop d’avocats sur le marché, mais il y aura toujours de la place pour les bons avocats, ceux qui sont ingénieux et qui foncent!